Les opposants d’hier, désormais alliés de la majorité présidentielle ?
Pendant cette année de transition, quelques personnalités ont été appelées à cogérer le pays. Elles considèrent n’avoir ni trahi ni quitté l’opposition. Sur la question, les avis sont partagés.
Crâne rasé de près, costume-cravate impeccable, regard filant droit vers les passants. Sur la grande affiche posée au croisement des avenues de la Justice et de Kisangani, Thomas Luhaka esquisse un léger sourire pour accompagner son appel à l’enrôlement massif des Kinois. En filigrane, le ministre congolais des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction réaffirme surtout son nouveau positionnement politique.
Il paraît bien loin le temps où l’ancien secrétaire général du Mouvement de libération du Congo (MLC, parti de Jean-Pierre Bemba) entrait dans l’arène pour s’attaquer à l’exécutif. Bombardé à la fin de 2014 vice-Premier ministre, chargé des Postes et des Télécommunications, l’ancien président de l’Assemblée nationale a alors mis de l’eau dans son vin.
Il paraît bien loin le temps où Thomas Luhaka entrait dans l’arène pour s’attaquer à l’exécutif
Un remaniement technique et deux gouvernements plus tard, si Luhaka a perdu en préséance protocolaire, il n’en demeure pas moins au sein de l’exécutif et reste considéré comme un nouvel allié de la Majorité présidentielle (MP). « Tous les opposants d’hier qui, comme Thomas Luhaka, ont rejoint l’équipe gouvernementale n’ont fait que renforcer la MP et, par conséquent, affaiblir l’opposition », commente un ancien ministre.
UDPS et G7, deux piliers du Rassemblement
Un avis que partagent nombre d’observateurs mais que réfute Marie-Ange Mushobekwa. Fille d’un ancien commissaire du peuple (député sous Mobutu), la chef du Mouvement pour la cohésion nationale (MNC) a pris part en juin 2016 aux travaux des forces politiques et sociales acquises au changement, réunies à Genval (Belgique), qui ont donné naissance au Rassemblement.
Nommée ministre des Droits humains au sein du gouvernement de Samy Badibanga, le 19 décembre, et reconduite dans celui de Bruno Tshibala, le 9 mai, elle a une tout autre lecture de la recomposition politique en cours en RD Congo, considérant que « l’opposition et la majorité sont désormais coresponsables » de la gestion de l’État.
« On ne pouvait plus continuer à suivre le Rassemblement, qui s’adonnait à la surenchère et s’est laissé radicaliser par le G7 [groupement fondé par sept transfuges de la MP passés à l’opposition et soutenant Moïse Katumbi], qui voulait embarquer tout le monde dans ses règlements de comptes avec le président Joseph Kabila », argumente la ministre depuis son bureau de la Gombe.
Le G7 et l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de feu l’opposant historique Étienne Tshisekedi constituent les deux principaux piliers du Rassemblement, autour desquels gravitent d’autres forces et personnalités politiques, à l’instar du député Martin Fayulu, président d’Ecudé et candidat déclaré à la présidentielle. Signataires de l’accord de la Saint-Sylvestre, les membres du Rassemblement n’ont pas adhéré à l’« arrangement particulier » sur le partage des responsabilités conclu entre le camp de Kabila et une partie de l’opposition.
À commencer par Bruno Tshibala, ex-secrétaire général adjoint de l’UDPS et ancien porte-parole du Rassemblement, nommé Premier ministre et, dans son sillage, les autres « opposants d’hier » qui ont intégré son gouvernement le mois suivant.
Quelle marge de manœuvre pour les opposants d’hier ?
Ces derniers ont-ils pour autant suffisamment de marge de manœuvre pour influencer les décisions de l’exécutif ? Bob Kabamba n’en croit rien. « Ils n’ont la main ni sur les finances ni sur les secteurs sécuritaires : ils ne vont fonctionner que selon le bon vouloir du président Kabila », explique le politologue, professeur de science politique à l’université de Liège, qui suit de près l’actualité de son pays natal.
Les ministres issus de l’opposition ne vont fonctionner que selon le bon vouloir du président Kabila, selon Bob Kabamba
Pour surveiller l’application du compromis politique, il ne restait donc plus à l’opposition que le Conseil National de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA), instance prévue par l’accord de la Saint-Sylvestre. Mais là encore, c’est un dissident du Rassemblement, Joseph Olenghankoy, qui a été désigné pour diriger la structure. Face à Vital Kamerhe qui convoitait également ce poste de président du CNSA, le président des Forces novatrices pour l’union et la solidarité (Fonus) avait le soutien de son allié, Bruno Tshibala, le Premier ministre. Surtout, « Olenghankoy est souple », confiait à J.A. un proche du président Joseph Kabila. Traduction : il ne fera pas de d’ombre à l’action du chef de l’État pendant cette période de transition.
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