Le Burundi classé par RSF au 1er rang des pays de l’EAC qui oppresse la presse
L’édition 2019 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) montre que la haine des journalistes a dégénéré en violence, laquelle est facteur d’une montée de la peur. Le nombre de pays considérés comme sûrs, où les journalistes peuvent exercer leur métier en toute sécurité, continue de se réduire, tandis que les régimes autoritaires renforcent leur emprise sur les médias.
Le Burundi perd toujours de place et occupe le devant (159/180) des pays qui oppresse la presse dans l’EAC. Suit le Rwanda (155/180) et l’Ouganda (124/180). La 4ème place est occupée par la Tanzanie (118/180) tandis que le Kenya (100/180) semble être le 1er pays pays dans l’EAC qui piétine moins la liberté de la presse.
L’Afrique enregistre la plus faible dégradation régionale de l’édition 2019 du Classement mais aussi certaines des plus fortes évolutions de l’année écoulée. Un changement de régime a permis à l’Ethiopie (110e) de vider ses prisons des journalistes et de faire un bond spectaculaire de 40 places.
C’est aussi une alternance politique qui a permis à la Gambie (92e, +30) d’afficher l’une des hausses les plus importantes du Classement. Les changements de pouvoir sur le continent ne profitent toutefois pas tous aux journalistes. En Tanzanie (118e, -25e), l’arrivée depuis 2015 du président John Magufuli, surnommé “le Bulldozer”, s’est accompagnée d’attaques sans précédent contre la presse.
Autre baisse significative : la Mauritanie (94e, -22) où le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Mkhaïtir, initialement condamné à mort pour apostasie avant d’être déclaré libérable, est maintenu en détention dans un lieu secret depuis plus d’un an et demi. Continent des contrastes, l’Afrique est aussi celui de la continuité du côté du pire : la République démocratique du Congo (RDC), qui se maintient à la 154e place, est le pays d’Afrique où RSF a enregistré le plus d’exactions en 2018, tandis que la Somalie (164e) reste le pays de la région le plus meurtrier pour les journalistes.
Le Classement RSF, qui évalue chaque année la situation du journalisme dans 180 pays et territoires, révèle le déclenchement d’une mécanique de la peur très préjudiciable à l’exercice serein du journalisme. L’hostilité à l’encontre des journalistes, voire la haine relayée dans nombre de pays par des dirigeants politiques, a fini par susciter des passages à l’acte plus graves et plus fréquents, qui provoquent un accroissement des dangers et, de ce fait, un niveau de peur inédit dans certains endroits.
« Si le débat politique glisse subrepticement ou manifestement vers une ambiance de guerre civile, où les journalistes font figure de victimes expiatoires, les modèles démocratiques sont en grand danger, explique Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Enrayer cette mécanique de la peur est une urgence absolue pour les femmes et les hommes de bonne volonté, attachés aux libertés acquises au long de l’histoire. »
Au Classement 2019, la Norvège conserve pour la troisième année consécutive sa place de premier, tandis que la Finlande (+2) retrouve sa deuxième position, au détriment des Pays-Bas (4e, -1), où deux reporters spécialistes du crime organisé sont contraints de vivre sous protection policière permanente. La recrudescence du cyberharcèlement a fait perdre une place à la Suède (3e). Au titre des bonnes nouvelles sur le continent africain, l’Ethiopie (110e, +40) et la Gambie (92e, +30) progressent significativement.
Le courage des journalistes d’investigation traqués
Dans ce climat d’hostilité généralisée, il faut du courage pour continuer à enquêter sur la corruption, l’évasion fiscale ou le crime organisé. En Italie (43e, +3), le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, a envisagé de remettre en question la protection policière du journaliste Roberto Saviano à la suite de ses critiques contre le dirigeant de la Ligue, tandis qu’un peu partout dans le monde et notamment en Algérie (141e, -5) ou en Croatie (64e, +5), médias et journalistes sont confrontés à un harcèlement judiciaire croissant.
Les procédures bâillons engagées contre les journalistes d’investigation en France ou à Malte (77e, -12) visent à les épuiser financièrement, voire à les conduire en prison, comme en Pologne (59e, -1), où les journalistes du quotidien Gazeta Wyborcza sont menacés de peines d’emprisonnement pour avoir mis en cause le dirigeant au pouvoir dans une affaire de construction douteuse. C’est aussi le cas en Bulgarie (111e), où deux journalistes indépendants ont été placés en détention alors qu’ils enquêtaient depuis plusieurs mois sur des détournements de fonds européens.
En plus des pressions judiciaires, les journalistes d’investigation sont la cible d’intimidations multiformes dès lors que leur travail lève le voile sur des pratiques ou des affaires véreuses. La maison de l’un d’entre eux a été incendiée en Serbie (90e, -14), et d’autres ont été froidement éliminés, comme cela a été le cas à Malte, en Slovaquie (35e, -8), au Mexique (144e, +3) ou encore au Ghana (27e, -4).
La traque des journalistes qui gênent les pouvoirs en place semble ne plus avoir de limite. Le meurtre sordide de l’éditorialiste saoudien Jamal Khashoggi, commis de sang-froid au sein du consulat en Turquie en octobre dernier, a envoyé un message glaçant aux journalistes bien au-delà des frontières du seul royaume d’Arabie saoudite (172e, -3). Par peur pour leur vie, nombre de journalistes de la région pratiquent l’autocensure ou ont tout simplement cessé d’écrire.