aoû
08
2023

Rwanda : Vers la libération du grand financier présumé du génocide commis contre les Tutsi en 1994

La Chambre d'appel du Mécanisme international résiduel pour les tribunaux pénaux, MICT, a rendu sa décision sur les appels interjetés M. Félicien Kabuga et le Procureur contre la décision de la Chambre de première instance rendue le 6 juin 2023 concernant l'inaptitude de M. Kabuga à être jugé et ses conséquences.

Kabuga, de 88 ans, détenu à La Haye aux Pays Bas depuis bientôt 3 ans, accusé d’être le grand financier du Génocide commis contre les Tutsi en 1994 au Rwanda et qui a emporté plus d’1 million de personnes.

Cinq juges de la chambre d’appel de l’ONU ont donc estimé que
Félicien Kabuga, devrait être libéré d'urgence après qu'un tribunal l'a déclaré inapte à être jugé à La Haye.

En juin dernier, la Chambre de première instance avait conclu, à la majorité, à la Haye que M. Kabuga n'était pas apte à subir son procès et qu'il était très peu probable qu'il retrouve l'aptitude à l'avenir. La Chambre de première instance avait alors décidé, de continuer les poursuites à l'encontre de M. Kabuga selon une « procédure de constatation alternative qui ressemble le plus possible à un procès, mais sans possibilité de condamnation ».

Les deux parties ont fait appel de la décision de la Chambre de première instance.

L'accusation a fait appel de la décision de la Chambre de première instance selon laquelle M. Kabuga n'était pas apte à être jugé et la Défense a fait appel de la décision de la Chambre de première instance de poursuivre la procédure conformément à une « procédure de conclusion alternative ».

Dans leur décision de ce lundi, les juges de l'ONU sont plutôt favorables à une libération de Kabuga.

“Ce tribunal spécial chargé des crimes de guerre a commis une erreur de droit" en juin en décidant que Félicien Kabuga devait être jugé via une procédure simplifiée malgré son état de santé », ont donc conclu les juges.

Déception totale pour les rescapés du génocide au Rwanda.

« Moi je ne veux même pas l’entendre de mes oreilles, la décision me met mal à l’aise car je ne comprends rien de la décision qui remet l’épée dans nos plaies. C’est une pure forme de négationnisme du génocide », expliquent certains.

« Être inapte, ne pas pouvoir parler, s’expliquer ou marcher..est-ce que cela signifie qu’il n’a pas commis ces crimes ? Nous sommes désolés, humiliés. Il est redevable des crimes qu’il a commis contre les Tutsi. S’ils ne peuvent pas le juger qu’ils l’extradent vers le Rwanda », ajoutent d’autres.

Félicien Kabuga, accusé d'avoir été le bras financier du génocide de 1994, est accusé de génocide et de crimes contre l'humanité. Depuis son arrestation en banlieue parisienne en 2020, sa santé est au cœur du dossier. Alors qu'il devait être jugé à Arusha, les juges ont préféré le garder à La Haye, de crainte que cet homme d'au moins 88 ans ne survive pas au voyage vers la Tanzanie.

A Kigali, l’indignation est totale chez beaucoup de rescapés et victimes juste après la période de la 29è triste commémoration du génocide.

« C’est la mauvaise nouvelle qui tombe. Nous sommes restés sans mots à dire, rien que le manque de la justice indépendante. Et c’est l’une des grandes armes que les génocidaires utilisent, le dénis de justice », dénoncent-ils.

« Le génocide a été commis devant les yeux de la communauté internationale, et voilà nous manquons la justice aussi devant les juridictions de l’ONU », n’en reviennent-ils pas.

La Chambre d'appel a décidé de renvoyer l'affaire à la Chambre de première instance avec pour instruction d'imposer une suspension indéfinie des procédures compte tenu de l'inaptitude de M. Kabuga à subir son procès. La Chambre d'appel a en outre ordonné à la Chambre de première instance d'examiner rapidement la question de la détention provisoire de M. Kabuga.

Mais pour l’association des survivants IBUKA, le temps est de chercher la justice ailleurs.

« C’est un déshonneur total pour l’ONU et le Rwanda. Nous allons évoluer vers d’autres mécanismes légaux et judiciaires, nous n’allons pas désarmer. Nous allons saisir les cours et tribunaux du Rwanda pour la responsabilité civile et les réparations des victimes. Le procès est déjà intenté », affirme un des responsables juridiques de l’ONG.

La Chambre d'appel a en outre déclaré qu'elle était consciente que les victimes et les survivants des crimes dont M. Kabuga est accusé ont attendu longtemps pour que justice soit rendue, et que l'impossibilité d'achever le procès dans cette affaire, en raison de l'absence de M. Kabuga d'aptitude à subir son procès, doit être décevante.

La Chambre d'appel a toutefois noté que la justice ne peut être rendue que par la tenue de procès équitables et menés dans le plein respect des droits de l'accusé énoncés dans le Statut.

Pourtant, d’après des juristes, Félicien Kabuga ne sera pas libéré.

« La décision de la cour n'arrête pas la procédure judiciaire même si ses avocats vont en profiter pour défendre Kabuga. Mais, soyez rassuré, c'est une simple décision qui n’influence pas le jugement en principe car les preuves et les faits pour l’incriminer sont suffisamment fournis et son inaptitude ne va pas lui ôter la responsabilité pénale. Seulement, les systèmes d’auditions et de comparutions devant la justice doivent tenir compte de son état de santé », rassure Maître Faustin Murangwa.

Le procureur de cette cour qui est censé représenter les intérêts des victimes se dit déçu. Serge Brammertz a déclaré que la décision doit être respectée, même si le résultat est insatisfaisant.

Pour lui, ce résultat est dû avant tout à la fuite de Kabuga de la justice pendant tant d'années.

Il adresse ses pensées aux victimes et aux survivants du Génocide. “Ils ont maintenu leur foi dans le processus de justice au cours des trois dernières décennies. Je sais que ce résultat sera pénible et décourageant pour eux. Ayant récemment visité le Rwanda, j'ai entendu très clairement à quel point il était important que ce procès soit conclu”, dit-il avant d’ajouter que cette décision peut être décevante, mais que ce n'est pas la fin du processus judiciaire contre les génocidaires.

Le procureur du tribunal onusien assure que « mon Bureau n'arrêtera pas notre travail en leur nom. Comme l'a souligné la récente arrestation de Fulgence Kayishema, la responsabilité des crimes commis lors du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda doit se poursuivre devant les tribunaux au Rwanda et dans les pays du monde entier. Mon bureau fournira tout son soutien ».

L'ambassadeur du Rwanda aux Pays Bas Olivier Ndugungirehe trouve que la non coopération des pays occidentaux pour arrêter les génocidaires est la principale cause de ces décisions de dénis de justice.

« Kabuga a passé plus de 20 ans en cavale en Afrique ou en Europe. Si il avait été arrêté avant, il aurait été jugé quand il était en bon état mental. Raison pour laquelle nous demandons aux Pays qui ne veulent pas coopérer de se saisir pour participer à la justice que les victimes du génocide espère avoir depuis longtemps », a-t-il récemment réagi.

Des sources à La Haye souligne que la décision de la chambre d’appel ne clôt pas encore tout à fait le dossier de l’ex-homme d’affaires. « Félicien Kabuga n'est pas tout à fait libre. Il reste sous l’autorité du tribunal. Les juges de première instance vont maintenant se pencher sur son avenir. Ils devraient décider d’une libération conditionnelle », rassurent des sources proches du dossier.

RFI rapporte que Félicien Kabuga ne sera sans doute pas plus ramené à la case départ, c’est-à-dire à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne, où il avait été arrêté en mai 2020. « Certains des 13 enfants de l’homme d’affaires se trouvent en France, au Royaume-Uni et en Belgique notamment. Il est très probable que les juges ordonnent son départ dans l’un des trois pays, qui auront l’obligation de coopérer ».

Félicien Kabuga est aussi fondateur de la radio de haine, RTLM qui a appelé les Hutu à tuer les Tutsi en 1994.

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00:06:00

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